Maurice Denuzière est l'invité d'honneur de la foire du livre de Saint-Louis (Alsace). Il sera présent lors de l'inauguration le vendredi 15 mai, à partir de 18 heures. Le samedi 16 mai à 15 heures est prévue une rencontre autour de son dernier roman, L'Alsacienne. Maurice Denuzière dédicacera ses ouvrages sur le stand de la librairie Hartmann.
L'Alsacienne
Mars 1875. Tristan Dionys, pianiste impécunieux, et Maximilien Leroy, juriste désinvolte, font connaissance devant la colonne Vendôme. Leurs pères, de camps
adverses, ont péri sous la Commune. Naît cependant entre eux une amitié indéfectible et, pour l’un, passionnée.
L’Alsace et la Lorraine devenues allemandes par la défaite de 1870, Paris accueille de nombreux réfugiés des provinces annexées. Tristan et Max, engagés dans une vie bohème, rencontrent Cléa, jeune Alsacienne. Naît alors un trio fantasque, soudé par une amitié amoureuse.
Scandale de Panama, affaire Dreyfus, incendies de l’Opéra-Comique puis du Bazar de la Charité, boulangisme, violences anarchistes, invention de l’automobile, érection de la tour Eiffel : le trio vit l’adolescence de la IIIe République au seuil d’un nouveau millénaire.
Extraits
Extrait 1
- Mon père
a été tué par les versaillais, monsieur.
- Le mien,
monsieur, par les communards.
- Alors,
nous sommes quittes, monsieur.
Les deux
jeunes hommes qui, au matin du 20 mars 1875, échangeaient ces propos, ne se
connaissaient pas. Leurs réflexions avaient été spontanées, comme celles qui
échappent parfois, entre inconnus, aux spectateurs d'une pièce de théâtre. On
jouait ce jour-là, place Vendôme, la reconstruction de la colonne abattue, le
16 mai 1871, par les acteurs de la Commune. La vue des ouvriers, occupés à
mettre en place les bas-reliefs de bronze restaurés, avait rappelé à ces
passants leur semblable condition d'orphelin.
Tous deux,
parisiens, jeunes et de haute taille, relevaient cependant de types sociaux
différents. Celui qui venait d'assener en riant une conclusion cynique à
l'accouchement sanglant de la IIIe République affichait l'assurance de qui sait
tirer parti des circonstances. Solide charpente, visage épanoui, fine moustache
cirée, bouche gourmande, il posait sur le chantier un regard ironique. On
devinait le dilettante mondain, désinvolte et jouisseur, plaisant aux femmes.
Des boucles brunes émergeaient de son chapeau melon marron glacé, couleur à la
mode, comme son costume trois pièces et sa cravate en soie jacquard, récemment
créée par Charvet.
Son
interlocuteur d'occasion, mince et sec, telle la tige d'une plante grandie trop
vite, paraissait, près du dandy athlétique, fragile, réservé, presque timide.
Vêtu d'une redingote puce, démodée et pâlie par l'usage, il était de ceux dont
les épaules se voussent prématurément. En revanche, il offrait un visage d'une
beauté rare, quasi féminine. Traits fins et réguliers, nez légèrement busqué,
aux ailes serrées, joues creuses, teint pâle, regard tilleul. La bouche
étroite, mais bien modelée, s'entrouvrait en un sourire mélancolique, réponse
au " nous sommes quittes ", un peu trivial, de l'inconnu. Des cheveux
blonds, lisses et soyeux, assez longs pour couvrir les oreilles, complétaient
le portrait d'un jeune romantique tel que l'imaginaient les lectrices de Musset
et de Senancour. Il allait s'éloigner quand, plus audacieux, le fils du défunt
communard le retint.
Extrait 2
– Le nom de Ricker me donne à penser que nous sommes peut-être chez le fameux fabricant de toiles peintes et d’indiennes de Cernay, dans le canton de Thann, souffla Max.
– En tout cas, la demoiselle Clémence est musicienne, dit Tristan.
Et il désigna, au fond du salon, un piano droit, pourvu de chandeliers de bronze. Sur le pupitre, une partition ouverte attestait que l’instrument n’était pas que décoratif, comme souvent dans les intérieurs bourgeois.
Dionys, dominant la curiosité qui l’eût incité à quitter son siège, pour lire le titre du morceau, attira l’attention de Max sur un portrait de femme en vêtements de deuil. La coiffe noire en papillon, ornée d’une cocarde tricolore, laissant déborder une opulente chevelure châtain aux reflets cuivrés, désignait une Alsacienne. Les deux amis convinrent que ce portrait de facture sobre, dépourvu d’effet pittoresque, illustrait le souvenir d’une tragédie.
– Ce beau visage révèle un chagrin dominé, assimilé, mais inoubliable. Ce regard farouche et ces lèvres closes prononcent une condamnation sans appel, observa Tristan.
– Vous ne pouviez dire plus juste, monsieur, intervint M. Ricker, surprenant par un retour inopiné dans le salon les commentaires des curieux.
– Pardonnez notre indiscrétion, mais cette peinture capte le regard, monsieur.
– Vous êtes tout excusé. Cette toile est une bonne copie du tableau qu’un artiste alsacien, Jean-Jacques Henner[1], a peint à la demande de la veuve d’un autre Alsacien, mort en 70, mon ami Charles Kestner, industriel à Thann et élu républicain. L’original a été offert par Mme Kestner à Léon Gambetta[2], en qui tous les Alsaciens et tous les Lorrains placent désormais leur espérance. Du tableau de Henner, Jules Castagnary, critique d’art et conseiller d’État, a écrit dans Le Siècle du 31 juillet 1871 : « Ce n’est pas une Alsacienne, c’est l’Alsace. »
– Émouvante évocation des malheurs de votre province, en effet, dit Max.
[1] 1829-1905.
[2] Ce tableau, vendu par les héritiers de Gambetta à des descendants du peintre,figure, depuis 1972, au musée national Jean-Jacques Henner, 43, avenue de Villiers,Paris XVIIe. Ce musée, entièrement restauré, devrait être réouvert fin 2009. Henneravait acheté en 1921 cet atelier du peintre Édouard-Marie-Guillaume Dubufe (18531909), fils d’Édouard-Louis Dubufe et petit-fils de Claude-Marie Dubufe, tous troispeintres, notamment de portraits.
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